Surprise du chef

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Effleurés, par Isabelle Bauthian et Sylvain Limousi
 
Pour prolonger la lancée des histoires tortueuses et sentimentales, voici un premier album paru chez Dargaud, par deux personnes venues à la BD sans que l’on ait pu s’y attendre, dégoupillant sans préméditation un album dont l’émotion fait vibrer le lecteur sans pour cela le secouer. L’émotion tenue en laisse : elle ne vous saute pas à la gorge, et c’est plutôt agréable.

 

 
Il y a les œuvres dont on a tant rêvé la saveur qu’on est systématiquement déçu en les refermant. Ça laisse un goût d’autant plus amer qu’on a conscience d’avoir fait monter la sauce tout seul. On en reparlera peut-être ce week-end. Effleurés est l’exact contraire : rien ne prédestinait Isabelle Bauthian et Sylvain Limousi au neuvième art. Elle est comédienne et journaliste, lui a fait des études de biologie avant de se lancer comme dessinateur autodidacte. Le résultat est un fruit d’époque juste assez acidulé pour avoir de la saveur. Christophe Banti a environ 30 ans, il est cadre dans une grande entreprise, la routine le rassure. Fleur Serra, environ le même âge, est préposée à la photocopieuse, qui utilise le matériel pour des travaux personnels. Forcé d’intervenir par le râleur de service, il profite de l’occasion pour inviter la jeune femme autour d’un verre.

 

   
 
 

 Point de jeune dégingandé et nonchalant dans ces pages, ni de trentenaire trop vite grandi. Les deux personnages ont leur âge, l’assume, et sont exactement là où ils ont envie d’être.  C’est-à-dire sur deux lignes de conduite a priori si opposées que ces deux là ne devraient même pas se croiser. Mais la jeune femme est vive pétillante, fantaisiste… En un mot, inattendue dans la vie de ce casanier. Ce qui  pourrait être une liaison sans lendemain prend peu à de l’épaisseur, et une dimension presque scandaleuse : Fleur, et surtout Christian doivent faire face aux plaisanteries grasses de leurs collègues, et aux remarques,  acides sans en avoir l’air, sur la situation sociale de Fleur, tout juste employée de bureau pistonnée qui sort avec un patron. Taquine, sensuelle et imprévisible, elle réapprend la spontanéité à l’homme qui aime l’immuabilité et le contrôle. Christian découvre ainsi une vie auquel il n’a jamais été habitué. Il n’est pas contre, il est juste déboussolé. Et malgré tout… Entre son frère alcoolique, sa soif inextinguible de nouveautés et sa perpétuelle envie d’ailleurs, Fleur est difficile à cerner, à suivre, même s’il a envie de l’aimer. De son côté, Fleur se sent l’originale de service, et supporte mal d’être la caution « ouverture d’esprit » parmi les relations de Christian.


Le point de départ de l’histoire est une situation connue que les auteurs font évoluer vers quelque chose d’aigre-doux, à mi-chemin entre le regret et, une fin réussie pour les deux héros. La fin du récit, pour quelque peu attendue qu’elle soit, ne dépareille pas du reste de l’album. Aucune grandiloquence, et perce l’absurdité sous les questions qui peuvent rester en suspens dans l’esprit du lecteur : les deux amants n’auront fait que s’effleurer. L’amour de toute une vie n’était pas l’objet de ce récit, la violence passionnelle n’a jamais sa place dans les pages sue l’on tourne. D’ailleurs, les quelques scènes de conflits montrées ça et là sont bien souvent avortées par un silence et un regard. On a plein de trucs à partager, mais pas tant de choses à se dire… Effectivement, les univers parallèles, tracés limpides et  tout en courbes, ne s’interpénètrent jamais, les deux héros ne font que s’effleurer, mais ce rapprochement paradoxal, foncièrement incomplet est tout l’objet inattendu de cette narration. Les personnages sont heureux au début, heureux à la fin. Ils ne se cherchent pas, mais trouvent en eux de nouvelles choses… C’est dingue comme ça semble d’une simplicité biblique, raconté de cette façon.
 

Pépite surprise dans le flot des parutions, Effleurés a quelque chose de réellement rafraîchissant. Isabelle Bauthian et Sylvain Limousi ont, semble-t-il, de nombreux projets. Espérons qu’ils sauront la conserver.

 
Correction: comme elle l'a signalé dans les commentaires, c'est Isabelle Bauthian qui a fait des études de biologie, et non Sylvain Limousi.

source image: http://www.krinein.com
Le blog d'Isabelle Bauthian: http://hesperide.canalblog.com/

 

Publié dans Corps Célestes

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H
Dans l'intimité des auteurs : <br /> <br /> moi: mais t'avais pas commencé un truc après le bac ?<br /> <br /> <br /> <br /> Sylvain: une demi année de geo chiante comme la mort<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> les étude de dessin, etc... étais trop cher pour ma famille. et quand une école étais accessible, j'étais con et amoureux d'une fille qui voulais pas que je parte loin d'elle, mon son belle étalon.... tout ça pour se foutre de ma gueule ensuite. rhaaaa !!!<br /> enfin je m'en fout maintenant, nous sommes chez dargaud A votre service messieurs-dames ^^<br />
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H
Les études de Sylvain... bonne question ^^Il a arrêté très vite pour se consacrer à la bd donc on n'en a jamais parlé en détail. Promis je lui demande la prochaine fois que je le vois.
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L
Je vois peut-être être obligée d'arreter de lire ton blog si à chaque fois tu me donne envie de lire quelque chose^^
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M
<br /> ^^<br /> <br /> <br />
I
On espère aussi ne pas décevoir par la suite :)Très belle chronique, et tu (je peux te dire tu ?) a dégagé les points qui me tenaient le plus à coeur dans l'album. Un grand merci à toi, lire ce genre de critique rend heureux d'avoir choisi ce métier.(par contre c'est moi qui ait fait des études de bio... et je ne suis pas encore une "vraie" comédienne, payée et tout et tout ^^)
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M
Dans ce type d'histoire, finalement, la nature du dénouement importe moins, à mon sens, que la façon dont l'ensemble est racconté. D'où l'intérêt de décrire les mécanismes de l'histoire... Tant mieux si j'ai vu juste à tes yeux.  A propos des études de Sylvain, qu'est-ce qu'il a fait comme études? Simple curiosité.